Il a quelques mois j’ai fait la connaissance d’une maison d’édition vraiment spéciale. « L’attelage », c’est son nom, est un groupement d’auteurs, en grande partie fantasy et SF, qui a décidé de démocratiser l’édition à fond les manettes en utilisant un système d’abonnement vraiment modique qui permet de lire l’intégralité des ouvrages publiés ET en cours de publication mais pas que.
Le système étant original, je me suis dit que certaines des nouvelles plumes seraient intéressées et que les lecteurs seraient ravis de voir qu’il existe un moyen de lire, aider les auteurs ET même s’amuser grâce à une maison d’édition.
Maxime Duranté a accepté de nous en parler et de jouer le jeu de l’interview.
Bonjour Maxime alors d’abord qui êtes-vous ?
Je suis moi, et ça me prend déjà pas mal de temps ! Correcteur/éditeur/traducteur/écrivain en freelance ou dans le cadre de l’Attelage, j’analyse, dissèque, répare ou crache du texte selon les besoins du moment – et de mon compte en banque. J’ai vingt-cinq ans, j’aime l’haltérophilie, le clavecin, et allumer une bougie parfumée quand j’écris.
Quel type de lecteur êtes-vous ?
Je suis avant tout un lecteur « de chantier » ! Ça commence à faire très longtemps que je n’ai pas lu un ouvrage réellement terminé, sur lequel un travail éditorial sérieux a été effectué… parce que c’est ce que je m’échine à faire sur les commandes qui me tombent sous le scalpel. Je dois donc dire que je lis un peu « par défaut », et que je ne choisis pas exactement mes lectures ; ce sont elles qui me choisissent !
Le point positif, c’est que je lis beaucoup, avec la petite loupiote de l’esprit critique perpétuellement allumée. On a beau le répéter sur tous les tons, ça ne fera pas de mal d’en remettre une couche : pour progresser en écriture, il est im-pé-ra-tif de lire !
Etes-vous plus ebook ou livre papier ?
Selon moi, lire en numérique est avant tout un acte politique. C’est le format papier qui impose un prix d’entrée et une répartition des bénéfices scandaleux aux auteurs ; c’est le format papier qui a empêché, pendant des décennies, les écrivains de gagner leur indépendance ; c’est le format papier qui profite prioritairement aux gens qui fabriquent des livres, et non à ceux qui les écrivent.
Bon, ces belles paroles étant déclamées, je n’ai de toute manière pas d’alternative si je veux bosser sur les textes : je dois me fader les bons vieux .docx sans regimber !
Quand avez-vous créé l’attelage et pourquoi ?
L’Attelage a été créé le 1er avril 2015 (no joke) dans un effort de conciliation entre les avantages de l’indépendance et ceux de la grande édition.
Voilà, euh… C’est peut-être un peu flou, résumé de la sorte. Je reprends.
Nous avons tous constaté, je crois, que la qualité des publications indépendantes était on ne peut plus hétérogène : on trouve de tout, à tous les prix, et il est très difficile de s’orienter dans la jungle de ces romans qui, parfois, ne peuvent pas s’offrir un emballage très alléchant… alors même que le texte vaut le détour. Et inversement.
L’Attelage, c’est un genre de « système éducatif », une « école de formation collaborative » pour les auteurs. Quand on entre à l’Attelage – mais on va y revenir dans une question ultérieure –, on entre également dans une meute. Cette meute, ces quatre autres auteurs avec qui on travaille, seront des collaborateurs constants permettant à tout le monde d’obtenir des relectures, des conseils, un soutien moral. Un peu comme les écrivains présents sur les forums d’entraide, mais en permanence, du début à la fin d’un manuscrit.
De cette façon, le niveau des Attelés augmente régulièrement ; nous voyons ça comme un gage de qualité. L’autre avantage, c’est que les auteurs sont habitués à avoir un dialogue ouvert et franc sur leurs productions : nous invitons tous les lecteurs à venir nous donner leur avis, pour que nous puissions sans cesse apprendre de nos erreurs et peaufiner les histoires.
Présentez-nous un peu l’équipe ?
Alors, je vais éviter de m’étaler pendant des plombes à cette question, parce que l’équipe est intégralement composée d’auteurs, qu’on se répartit les tâches entre nous et qu’on est presque tous sous la trentaine ! Voici donc les Attelés, associés à/aux l’histoire/les histoires qu’ils écrivent :
Marion Roudaut : Le Livre du Destin
Karole Schifferling : Les Héritiers et La Mécanique du Temps
Julien Willig : Les Survivants de l’Après-Minuit et Ocrit
Antoine Bombrun : Les Traqueurs et Les Chroniques du Vieux Moulin
Gabriel Huguin : Daehra
Amaëlle Olivier : Caelestia Mundi
Joan Delaney : L’Arbre de Feu et Marée Noire
L’Attelage est un système de lecture par abonnement original, pensez-vous que cette façon de lire va se développer dans le futur ?
Je ne sais pas trop si la lecture épisodique va se développer, bien qu’elle fasse un carton auprès des plus jeunes sur Wattpad. Il est difficile de déterminer si c’est sa gratuité qui entretient la machine, ou s’il s’agit effectivement d’un changement fondamental dans le comportement de lecture.
Ce que je sais, en revanche, c’est que cette méthode va nous permettre de produire du contenu gratuit pour tous sur le long terme, car les abonnements ont vocation à payer le « salaire de l’écrivain » – son temps de travail sur le texte. Une fois celui-ci terminé, nous pourrons le diffuser gratuitement au format numérique. C’est ce que nous avons prévu de faire avec notre sortie majeure de cet été : Le Livre du Destin.
Je ne suis pas peu fier de cette mini-révolution, car elle constitue une avancée considérable vers la culture accessible au plus grand nombre.
Comment les auteurs de l’attelage sont-ils rémunérés actuellement et quelle idée en avez-vous pour le futur ?
Pour le moment, personne ne touche rien : nous injectons toutes les recettes dans le projet afin qu’il puisse croître. Par la suite, nous aimerions proposer aux Attelés une rémunération proportionnelle à leur implication dans l’Attelage, et assurer le paiement de salaires complets à celles et ceux qui s’y seront engagés à temps plein.
L’attelage ce n’est pas juste de la lecture, qu’est-ce que vous êtes entrain de développer d’autre ?
Alors, oui, hum… Disons que nous avons d’autres pistes à explorer, comme de l’audio (musique et audiobook) et un peu de jeu vidéo – nous en avons des ébauches à des stades de développement divers. Pour l’instant, je préfère ne rien annoncer de concret sous peine de décevoir les curieux, mais oui : nous avons des personnes de talent dans de multiples domaines, et, si nous parvenons à réussir notre pari, il y aura bien plus que de la lecture à se mettre sous la dent avec l’Attelage.
Pensez-vous que l’attelage pourra devenir une maison d’édition à part entière ?
Oui : c’est même la prochaine étape logique de l’Attelage. Nous allons bientôt nous réorganiser en ce sens pour devenir une « maison d’édition collaborative », intégralement détenue par les auteurs qui y sont publiés.
Il semblerait que le fantastique et la fantasy soient préférés à l’attelage, allez-vous ouvrir à d’autres genres ?
Bien sûr ! Nous ne sommes pas réfractaires aux autres genres littéraires, mais, dans la mesure où nous recrutons des auteurs et non des textes, se diversifier n’est pas exactement aussi simple pour nous que ça peut l’être pour d’autres structures. On ne peut pas se contenter de lancer un appel à manuscrits et de trier.
En tout état de cause, je suis au regret de constater que les écrivains de « bonne littérature » se sont montrés bien moins enclins à participer à l’Attelage que ceux des « mauvais genres » comme la SFF. Statistiquement, il semblerait que cette forme de publication ne les attire pas autant. La diversification est en cours, du reste. C’est en cours !
J’ai vu qu’une V2 est en route ? Qu’est-ce que ça nous prépare de beau ?
La V2 va davantage s’inspirer de ce qui a fait le succès de Wattpad : une lecture directement sur site, compatible avec les mobiles, et des commentaires plus faciles à écrire, plus structurés. Nous allons également « repenser » – c’est un grand mot – l’interface de lecture pour qu’elle soit plus agréable, en diminuant la luminosité et les contrastes qui agressent la rétine, en proposant une taille de police supérieure aux pendants papiers, etc.
Ce serait un peu long de détailler toutes les améliorations que nous comptons apporter à la version actuelle, mais on trouvera, pêle-mêle, des badges récompensant la participation des membres, des galeries regroupant les illustrations de nos contributrices, une partie blog plus claire pour les articles, un forum plus lisible, et, il faut bien le dire, une refonte graphique totale dont on avait cruellement besoin !
Quels sont les bénéfices d’être membres de l’attelage (bien sur je vais aussi mettre la vidéo qui est sur le site) ?
Eh bien, si on place le prix d’un ebook à 5€, en considérant le fait que l’abonnement couvre un an d’écriture, on peut dire que souscrire à l’Attelage dans sa nouvelle formule à paraître – 24 € par an pour une meute de 5 auteurs – c’est déjà s’offrir de la littérature à un prix tout à fait raisonnable. À cela s’ajoutent les illustrations, les articles, les jeux que nous organisons – comme les « Posts dont vous êtes le héros » sur Facebook –, l’interaction avec la communauté, que ce soit sur le site, sur les réseaux sociaux, ou sur notre salon de discussion instantané Discord, les contenus dérivés, et d’autres choses encore qui sont en préparation !
Il y a un autre bénéfice important, quoique moins tangible : cet argent ne sert qu’à rémunérer des créatifs ; il ne va à personne d’autre ! Et cela a des conséquences significatives sur la façon dont nous travaillons. En permettant aux créatifs de subvenir à leurs besoins sans s’adonner à des activités secondaires, vous leur permettez surtout de… produire davantage pour vous ! On essaye réellement de mettre en place une relation gagnant-gagnant avec ce système, et, puisque nous sommes conscients que ce sont nos lecteurs qui nous payent, nous avons cette envie de leur faire plaisir en leur donnant de notre temps, autant que possible.
Si vous cherchez une relation de proximité avec les auteurs, c’est chez nous que ça se passe !
Comment devenir auteur sur l’attelage ?
Nous recherchons des profils très particuliers, et ce, uniquement lorsque les Attelés ont, collectivement, décidé de former de nouvelles meutes. Lorsqu’un tel évènement arrive, nous publions des offres de recrutement, mais le mieux pour ne pas louper tout ça, et, surtout, comprendre comment nous fonctionnons, c’est encore de venir à notre rencontre. L’accès au site étant totalement libre – pas besoin de s’abonner pour lire, d’ailleurs : nous avons pas mal de contenu gratuit à vous offrir ! –, il n’y a rien de plus facile.
Certains des auteurs de l’attelage ont déjà publié en traditionnel, pensez-vous que la solidarité du groupe leur a permis d’améliorer leur écriture et leur a donné plus de chance d’y arriver ?
Ces auteurs n’ont pas trente ans ; je mets au défi quiconque d’arriver à un tel niveau de finition et de maturité stylistique aussi vite. Vraiment, je ne veux pas frimer ou prétendre avoir trouvé le modèle miraculeux, mais j’ai vu défiler énormément de textes durant ma courte vie – assez pour affirmer sans me tromper qu’aucun jeune écrivain n’a en lui toutes les clefs nécessaires à un roman abouti.
Nous gagnons un temps colossal à confronter nos textes aux regards des autres Attelés ; les progrès effectués par Julien Willig en l’espace de deux ans, par exemple, sont vertigineux. Toutes les vilaines manies, tous les tics, toutes les sales habitudes peuvent être contrecarrées par l’examen impartial et minutieux de la meute, et ce, avant que le processus laborieux des envois/refus aux maisons d’édition n’ait fini par engendrer ou un abandon, ou un texte vaguement acceptable. Texte vaguement acceptable qui sera forcément retaillé, recoupé, charcuté par le correcteur et l’éditeur… Nous effectuons ce travail en amont, au fur et à mesure ; ça permet à la jeune pousse de « partir droit » !
Si j’avais une « histoire » dans la tête et que je voulais commencer à écrire de la fantasy, que me conseilleriez-vous en tant que débutant ?
Hmm, je dirais… Ewilan, pour citer une œuvre connue, et puis pourquoi pas notre Livre du Destin 😉
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